Monsieur le Premier Ministre,
Nous vous écrivons d’une seule voix. Nos organisations représentent les établissements et services médico-sociaux qui accompagnent chaque jour des personnes âgées en perte d’autonomie, des personnes en situation de handicap et des personnes atteintes de pathologies chroniques, à domicile comme en établissement. A ce titre, nous mesurons chaque jour ce que signifie garantir l’égalité territoriale, l’accès aux droits fondamentaux et la dignité des personnes les plus fragiles.
L’annonce que vous avez faite le 14 novembre au Congrès des Départements de France, confirmée par votre courrier adressé aux départements le 24 novembre, visant à confier aux départements la tutelle unifiée du champ médico-social suscite chez nous une profonde inquiétude. Une telle décision constituerait une rupture majeure dans l’organisation de la protection sociale, avec des conséquences lourdes pour les personnes les plus vulnérables. Depuis des années, les disparités territoriales dans la prise en charge du handicap, du grand âge et de l’aide à domicile sont massives, documentées et unanimement dénoncées. Les restes à charge, les tarifs d’hébergement, les prestations, les moyens humains ou les taux d’encadrement varient fortement selon les politiques départementales. Loin de réduire ces inégalités, le transfert envisagé les amplifierait.
C’est précisément pour garantir une solidarité nationale et rétablir l’équité que la 5ᵉ branche de la Sécurité sociale a été créée. Or, la mesure que vous envisagez risquerait de vider de son sens la branche Autonomie cinq ans après sa création. En effet, confier la compétence médico-sociale aux départements reviendrait à transformer cette nouvelle branche en ressource départementale, et la CNSA en banque des conseils départementaux, détournant ainsi la Sécurité sociale de sa mission première : protéger tous les citoyens, quel que soit leur lieu de vie.
L’organisation que vous proposez aboutirait à transformer le budget de la caisse en un concours financier aux départements, au détriment l’ONDAM Médico-Social, et exclurait du champ de la sécurité sociale toutes les actions financées par ce biais. Les dispositifs déjà décentralisés – APA, PCH – montrent les limites du modèle. Leur gestion dépend aujourd’hui davantage du coût pour les collectivités que de l’évaluation fine des besoins. Aucun mécanisme national d’harmonisation ni de garantie de droits n’a pu être assuré.
Confier la totalité de la compétence médico-sociale aux départements c’est prendre le risque que les politiques de l’autonomie ne soient plus discutées dans le cadre des lois de financement de la sécurité sociale ni même au sein de la gouvernance de la CNSA mais par un « comité des financeurs », instance ad hoc qui ne réunit que le Gouvernement et des représentants des départements.
L’aide à domicile illustre les conséquences de plusieurs années d’un pilotage strictement départemental : il s’agit du secteur où les professionnels sont les plus paupérisés, qui est le moins renseigné par des données robustes et où les disparités territoriales sont les plus flagrantes. C’est aussi celui où la prise en charge des personnes est la plus inégalitaire, tant dans les évaluations de leur situation que dans les plans d’aide attribués. Plus globalement, les problématiques endémiques de financement des revalorisations salariales pour les établissements ou services relevant actuellement de la compétence des départements, que cela soit les dispositifs Ségur ou les accords salariaux applicables aux services d’aide à domicile, nous amène à être plus que réservés quant à votre annonce.
Les chiffres sont sans appel. En cinq ans, les crédits de la branche Autonomie ont évolué au rythme des besoins et des coûts, et leur répartition a été équitable sur tout le territoire. À l’inverse, les financements départementaux – prestation dépendance, tarifs d’hébergement, aides individuelles – n’ont pas suivi l’inflation. Huit départements n’ont par exemple pas revalorisé le forfait dépendance des EHPAD depuis cinq ans, alors que les coûts ont augmenté de près de 20 %. C’est autant de moyens humains en moins pour les personnes accompagnées qui ont pourtant contribué toute leur vie au financement de la protection sociale. Ce sont autant d’inégalités assumées entre Français selon leur département de résidence. A ce titre, le déploiement du Forfait Global Unique, qui permet une fusion des forfaits dépendance et soin financés par les ARS et dont le surcout pour les départements est pris en charge par la 5ème branche, constitue une simplification saluée par l’ensemble des structures et permet de corriger les inégalités territoriales.
Nous ne nions pas la nécessité de simplifier la gouvernance du secteur médico-social, de lever les cloisonnements des politiques publiques et de construire un lien plus fort avec les personnes les plus fragiles. Mais un tel chantier ne peut se réduire à un acte de décentralisation. Au contraire, il doit s’inscrire dans une vision nationale de l’autonomie, construite collectivement, s’appuyant sur une loi Autonomie ambitieuse, une programmation pluriannuelle des moyens, un pilotage équilibré entre l’État, l’Assurance maladie et les collectivités, et des mécanismes puissants de réduction des inégalités territoriales. C’est la seule voie pour garantir que chaque personne, où qu’elle vive, bénéficie d’un accompagnement digne, juste et sécurisé.
La situation des établissements et des services est aujourd’hui critique. Beaucoup sont à la limite de ce qu’ils peuvent supporter. La démographie et l’évolution des besoins exigent au contraire un renforcement massif de l’offre et des moyens. Dans ce contexte, transférer l’ensemble des compétences aux départements reviendrait à affaiblir la solidarité nationale et à accentuer les fractures territoriales. Notre pays ne peut se résoudre à ce que les droits fondamentaux des personnes les plus fragiles dépendent de leur code postal.
Monsieur le Premier ministre, ce projet ne résoudra pas les difficultés actuelles : il les aggravera. Nous vous demandons solennellement de renoncer à ce transfert de compétences et d’ouvrir un véritable chantier national de l’autonomie, associant toutes les parties prenantes, à la hauteur des enjeux et des attentes de nos concitoyens les plus fragiles.
Nous sommes pleinement disponibles pour y contribuer et demandons à être reçus pour vous exposer plus avant notre position
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Premier ministre, l’expression de notre très haute considération.
Contacts presse :
Adédom : David ZEISLER - [email protected] - 01 40 84 68 79
ADMR : Olivia CHABBERT - [email protected] - 06 60 46 52 23
APF : [email protected]
CNDEPAH : Emmanuel SYS - [email protected] - 06 75 23 25 27
Collectif domicile : Dafna MOUCHENIK - [email protected]
FEDESAP : Julien JOURDAN - [email protected] - 06 30 54 96 83
FEHAP : Maryse DE WEVER - [email protected] - 06 77 20 93 81
FESP : Alexandre AUDOUIN-DUBREUIL - [email protected] - 06 20 64 27 98
FHF : Marc BOURQUIN - [email protected]
FNAAFP/CSF : Mériam BOUSSEBSI - [email protected] - 07 81 75 68 69
FNADEPA : Marie-Hélène CHALS - [email protected] - 06 07 98 54 03
FNMF : Syril GIORGIONI - [email protected] - 06 74 55 35 49
GEPSo : Manal FALAH - [email protected] - 07 64 73 36 68
Nexem : Claire PICOU - [email protected] - 06 08 08 51 75
SYNERPA : Élisabeth ROY - [email protected] - 06 17 49 56 64
UNA : Juliette VALOR - [email protected] - 06 42 05 52 00
UNIOPSS : Valérie MERCADAL - [email protected] - 01 53 36 35 06
UNCCAS : Michael SZAMES - [email protected] - 06 11 72 65 05